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Rôle et enjeux de l'organisation du travail : P. Davezies et M. Detchessahar

Philippe Davezies

Enseignant chercheur en médecine de santé et travail, Université Claude Bernard Lyon1
Ses domaines privilégiés d’intervention : Travail, Santé, Médecine, Déontologie, Ergonomie, Psychopathologie, Psychodynamique, Stress, Vieillissement, etc

" Plusieurs phénomènes concourent, ces dix dernières années, à la montée de la souffrance au travail. L’intensification du travail et l’augmentation de la charge de travail pèsent de plus en plus sur les travailleurs. Les salariés se trouvent confrontés, à tous niveaux hiérarchiques, à des situations dans lesquelles ils sont obligés, au coup par coup, de faire ce qui est nécessaire de faire. Cela oblige les gens à trier dans la masse de travail ce qu’ils seront capables de réaliser, les objectifs qu’ils pourront satisfaire et ceux qu’ils ne pourront pas atteindre. C’est une caractéristique aujourd’hui du monde du travail.

Un autre phénomène apparaît. Les espaces de discussion se réduisent. Les salariés sont isolés. Chacun se débrouille comme il peut en fonction de ses propres valeurs ou de son expérience. Et chacun a les siennes. C’est la base d’une montée évidente des conflits interindividuels au travail et de l’augmentation de la souffrance au travail. Il faut redonner des espaces de paroles, de discussions aux travailleurs.

Le manager de proximité est aussi massivement en difficulté. Chaque fois qu’une entreprise, un organisme est en difficulté et que cela se voit que cela se sait, les directions en remettent une couche sur le management. Et ce n’est pas en rajoutant des injonctions que l’on répondra à la souffrance au travail. Il faut changer globalement l’organisation du travail et construire des espaces d’expressions pour tous les travailleurs quelle que soit sa catégorie socioprofessionnelle. "

Les publications les plus récentes

  • Souffrance au travail : risque organisationnel, CISME 2004.
  • Evolution des organisations du travail et atteintes à la santé, 1999.
  • Eléments de psychodynamique du travail. Education permanente, 1993,
  • Analyse psychodynamique de la situation des médecins du travail, en collaboration avec Ph. Leboul. Laboratoire de médecine du travail Université Lyon1, laboratoire de psychologie du travail, conservatoire national des arts et métiers, 1993.

 

Mathieu Detchessahar

Professeur des universités à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Nantes, Laboratoire d’économie et de management Nantes-Atlantique.

Membre du conseil scientifique de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), membre de l’observatoire des conditions de travail du groupe EDF.
Ses thèmes de recherches portent essentiellement sur les nouvelles formes d’organisation et changement organisationnel, communication et organisation, management et santé au travail.

« Le monde du travail devient de plus en plus contraint avec plus de compétition, de contrainte de coût… Dans ce contexte, le rôle de ressource des managers aux côtés des équipes est une nécessité pour les aider à faire face à des contraintes accrues. Les managers disposent de trois leviers pour lever ces contraintes : le soutien aux équipes, leur redonner plus de marges de manœuvre au quotidien et la reconnaissance.
La bonne santé au travail dépend ainsi de la qualité du management. Mais le management est-il « la » solution pour une meilleure santé au travail ? Il s’agit surtout de revisiter la qualité du travail en passant par un management de qualité, l’existence de feuilles de routes avec des objectifs clairs. Connecter les managers de proximité avec la ligne hiérarchique est donc une question essentielle » nous a confié Mathieu Detchessaar.

Les principales publications les plus récentes


« Santé au travail : l’enjeu du management », Detchessahar. M., Minguet. G. (2012), p. 233-248 in Courtet. C., Gollac. M., La santé négociée, La découverte.

« Les déterminants organisationnels et managériaux de la santé au travail », Detchessahar.M., Minguet. G., Stimec. A. (2012), chapitre 7 in Abord deChatillon. E., Risques psycho-sociaux, Santé et Sécurite au travail : une approche managériale, Vuibert

 

 

Intervention de Philippe DAVEZIES

Thierry GUILLEMOT, animateur
Philippe Davezies, vous êtes chercheur en médecine et santé au travail à l’Université Claude Bernard de Lyon 1. Vous trouvez comment en finir avec les idées reçues et vous n’hésitez pas à nager à contre-courant. Vous avez consacré toute votre vie universitaire à « l’énigme du travail », afin d’en entamer l’analyse psycho-dynamique. Vous nous proposez de réfléchir aujourd’hui sur le thème de « Qualité et santé : le défi des évolutions du travail ».

 

Philippe DAVEZIES, Enseignant chercheur santé et travail
Je vous remercie pour cette présentation. Mon propos est de vous exposer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Mon premier point s’intitule « Ce que nous apprend la souffrance au travail », car, en tant que médecin, j’aborde effectivement le travail par la souffrance. Nous sommes confrontés à trois niveaux de difficulté dès lors que nous souhaitons prendre en charge ces questions.

 

Le premier niveau de difficulté est incontournable, car il est lié à la structure même du travail. Les salariés, quel que soit leur niveau hiérarchique, n’effectuent jamais exactement ce qui leur est demandé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le système fonctionne. En effet, travailler correctement suppose toujours de :

  • se confronter à des particularités de situations que l’échelon supérieur, qui prescrit le travail, n’est pas en mesure de percevoir ;
  • affronter un grand nombre de dilemmes éthiques, qui ne sont pas arbitrés par les consignes ;
  • mobiliser ses compétences professionnelles, mais aussi sa sensibilité et ses expériences diverses, y compris celles acquises en dehors des milieux professionnels ;
  • affirmer sa responsabilité sur un fragment du monde.

Le travail est intéressant et facteur de développement et de santé, précisément parce qu’il n’est jamais ce qu’il devrait être. Il ne se résume toutefois pas à ce niveau d’activité.
Au niveau de la prescription, les personnes sont chargées de l’évaluation économique et de la gestion, qui sont une tout autre façon d’aborder le travail. Je cite souvent l’exemple d’une entreprise, qui se porte très bien, où le salariat de base est constitué d’un millier d’ingénieurs et de docteurs ès sciences. Ils fabriquent des produits de nouvelle technologie pour le monde de demain et se décrivent eux-mêmes comme tous diplômés « Bac+16 ». La même structure de conflit y est toutefois constatée. Les ingénieurs ont des critères de qualité, qui diffèrent souvent de ceux de leurs encadrants. Ces derniers considèrent que la qualité est celle requise par le marché, dans le temps du marché. Les managers s’efforcent donc d’arracher aux ingénieurs les produits à un stade où ceux-ci considèrent que leur conception n’est pas achevée. Si les managers emportaient cette bataille et que les ingénieurs abandonnaient leurs critères de qualité, l’entreprise s’effondrerait, car elle tire sa place sur le marché de l’engagement de ces ingénieurs. A l’inverse, si les ingénieurs l’emportaient sur les managers, l’entreprise s’effondrerait également. L’entreprise tire donc sa dynamique du jeu positif de cette tension entre l’expérience du travail et l’efficience économique. L’enjeu auquel nous sommes confrontés porte précisément sur la façon dont nous parvenons à articuler ces deux dimensions. Ce jeu n’est en rien dramatique. Il est l’essence même du travail et peut se déployer positivement ou négativement.

 

Le processus d’intensification du travail, sous l’effet des contraintes financières, agit négativement. Or intensifier le travail n’implique pas seulement de travailler plus vite. Les différences de pression modifient la nature même du travail. Les agents sont contraints de concentrer leur activité sur les dimensions du travail jugées prioritaires et d’abandonner certains critères, par exemple de qualité, qu’ils ne pourront pas tenir. La souffrance au travail est étroitement liée à cette question. Yves Clot répète que « ce qui fait mal au travail, ce n’est pas ce qu’on fait, mais les réponses qu’appelaient les situations et qu’on n’a pas été en mesure de donner ».

Or dans le monde du travail d’aujourd’hui, à tout niveau hiérarchique, travailler revient essentiellement à trier entre les critères de qualité qui pourront être pris en charge et ceux qu’il sera nécessaire de laisser de côté. Là encore, ce tri n’est pas dramatique, notamment dans les services sociaux et de santé, où il existe structurellement un décalage entre les moyens et les besoins.

 

Parallèlement, les espaces d’arbitrage collectifs se sont réduits sous l’effet de l’intensification, de la multiplication des statuts, de l’individualisation des horaires dans certains secteurs etc. Chacun tente donc d’arbitrer, seul, selon son expérience et sa sensibilité. Le processus d’individualisation du rapport au travail n’est pas simplement le développement d’un individualisme de tendance, mais d’un individualisme lié à l’organisation même du travail. Les nouveaux embauchés ne bénéficient plus de l’expérience accumulée par les seniors. Le processus le plus préoccupant est la dissolution des critères communs définissant un travail bien réalisé.

Dans un hôpital, chacun sait que le point de vue des médecins sur le travail n’est pas le même que celui des aides-soignantes. Les médecins, entre eux, ne sont pas d’accord. Il en va de même pour les infirmières. Cette situation se traduit par la multiplication des conflits individuels, en parallèle de la diminution des conflits collectifs.

 

Certains éléments sont assez préoccupants. Selon l’enquête SUMER, menée par le ministère du Travail et la DARES - Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques, 17% des salariés déclaraient être, en 2003, l’objet d’un comportement systématiquement hostile de la part d’une ou plusieurs personnes sur leur lieu de travail (qui ne soient pas nécessairement leur supérieur hiérarchique).

 

Nous retrouvons l’exigence majeure, portée tant par le milieu de la santé que par le patronat, de reconquérir des espaces de discussion sur le travail dans la norme ISO 26 000 sur la responsabilité sociale et dans le rapport économique et social de la CNAMTS.

 

La troisième difficulté consiste à débattre du travail Les salariés eux-mêmes contournent autant que possible toute discussion sur le travail, qui puisse faire émerger des conflits. L’action n’est pas l’application d’une idée, car cette dernière est court-circuitée par l’activation des mémoires émotionnelles et des expériences antérieures. L’action est ainsi en avance sur la décision, comme le montrent les neurophysiologistes. Si nous devions réfléchir, c’est-à-dire produire une élaboration langagière sur les situations, avant de prendre une décision, plus aucun humain ne serait encore de ce monde, car il aurait été mangé par les prédateurs depuis bien longtemps.

Le principal obstacle est que l’activité est obscure, pas uniquement aux yeux du chef, qui a d’autres soucis ou du collègue, qui poursuit d’autres objectifs, mais également aux yeux mêmes de celui qui la déploie. L’action n’est pas l’application d’une idée. Des expériences ont démontré que l’action est déclenchée par une situation donnée, qui met en œuvre les mémoires émotionnelles, les programmes moteurs qui correspondent aux modalités de réponses qui sont induites par l’expérience du sujet. La prise de décision accompagne l’action. Elle n’en est pas la cause. Les facteurs de sollicitations à l’action ne sont que partiellement conscients. Le cerveau a toutefois des capacités d’intégration des situations spatiales et temporelles, qui sont très supérieures à celles de la réflexion consciente, fondée sur le langage. Je cite un article de Damasio sur des expérimentations montrant que nous sommes capables de choisir, dans un environnement dont nous ne connaissons pas les règles, les stratégies adéquates bien avant d’avoir compris pourquoi elles le sont. En résumé, l’activité est en avance sur la conscience, qui est elle-même en avance sur son expression langagière. Aussi, produire des mots sur le travail est un enjeu, surtout en cas de conflit.

 

La question de la subjectivité est celle du retour réflexif, interrogatif, éventuellement inquiet, sur sa propre action. Le « Je » doit alors prendre la responsabilité d’une activité dont il n’est pas la cause. A partir des éléments scientifiques connus, il est extrêmement contestable d’impliquer la responsabilité des salariés au travail, alors que l’organisation les prive des possibilités d’un retour réflexif sur leur activité, qui seule, permettra la construction de modalités de réponse qui seront activées lors de l’expérience suivante, sans que soit mobilisée la réflexion consciente et l’élaboration langagière. La subjectivité, telle que présentée par la psychanalyse, se focalise sur les dimensions défaillantes de l’être humain. Ce qui s’impose est ce que vous ratez. Tout ce que les salariés réalisent de positif, en plus de ce qui leur est demandé et qui traduit leur personnalité, échappe à la conscience de leur auteur, en raison d’un mécanisme du cerveau, qui n’analyse que ce qui est décalé par rapport à ses dispositions à l’action. Ce qui est attendu ne fait l’objet d’aucun retour sensoriel. Personne ne se réveille la nuit pour se demander comment il a pu mener aussi bien son travail, ce qui cache des dimensions réellement dramatiques. Le travail n’apparaît que sous le mode de la défaillance. Tout l’engagement positif est obscur, y compris aux yeux de son auteur. Se réapproprier les dimensions positives de son engagement relève de la confrontation avec l’activité d’autrui, soit en travaillant collectivement, soit par des dispositifs permettant de discuter de ce qui est raté, mais aussi de ce qui est porté positivement.

 

Le diagnostic classique d’un ergonome sur l’activité repose essentiellement sur ces bases, où se nichent les risques psychosociaux.
Ce manque d’espaces d’élaboration conduit à des conflits, notamment avec le chef qui interpelle l’agent sur des critères objectifs, de qualité, de quantité, de rythme ou de conformité à des normes. Pour que le débat ouvre sur une issue positive, le salarié doit pouvoir reconnaître ses défaillances, mais aussi exprimer ses propres normes, afin de trouver des compromis enrichissants, sachant que le travail repose sur la tension entre deux normes. Or les salariés ne disposent pas d’espaces de discussion sur leur activité, notamment sur leurs dimensions positives. Ils sont donc incapables de répondre à l’accusation, d’autant qu’ils sont eux-mêmes surtout conscients de leurs défaillances. La remarque peut alors être vécue comme intrusive et persécutoire. Lorsqu’ils se retrouvent dans cette situation, les salariés s’emparent alors d’éléments langagiers préfabriqués pour expliquer les conflits, alors que ces derniers ne rendent pas du tout compte de la dramatique propre à chaque salarié. Nous l’avons constaté à la suite de la publication du livre de Marie-France Hirigoyen sur le harcèlement moral.

Certains salariés, en consultation, nous en récitaient des passages entiers. Un salarié m’a même engagé un jour à lire le livre pour prendre connaissance de sa situation. Or ces discours occultent les conflits de normes, qui sont primordiaux. Pour des raisons biologiques, plus les agents utilisent ces procédés, moins ils sont capables de revenir sur les événements, localisables en temps et en lieu, qui les concernent. Des mécanismes biologiques engagent les personnes en situation de stress chronique dans une spirale de sur-généralisation de leur situation, ce qui tend à radicaliser les conflits.

 

Tout l’enjeu de la prise en charge est donc de se recentrer sur les questions du travail pour retrouver les enjeux de qualité. Il est nécessaire de construire des espaces d’élaboration autonomes sur le travail. Or le travail évolue beaucoup plus vite que les capacités d’élaboration langagière. Produire du discours sur le travail ne va pas de soi. L’activité est déployée face à la réalité du monde, alors que la capacité à en rendre compte est héritière des périodes antérieures.

Dans des milieux de travail où nous intervenons, nous constatons des distances majeures entre ce qui est débattu collectivement et les dilemmes auxquels sont confrontés les salariés en permanence. Dans certaines entreprises, la Direction déploie une politique très éloignée de la réalité du travail. Les représentants du personnel construisent des compétences pour répondre à ce niveau-là. Les salariés en sont réduits à arbitrer, comme ils le peuvent, des affaires qui ne sont pas débattues collectivement.

 

Je laisserai Mathieu Detchessahar évoquer la place de l’encadrement, sur lequel la tendance est de reporter la faute. Or, selon moi, le problème de l’élaboration se vérifie autant sur les agents que sur l’encadrement.

Les représentants du personnel sont la deuxième instance importante. Nous avons donc développé, avec des collègues ergonomes de l’Université de Bordeaux, un certain nombre de recherches-actions, avec les représentants du personnel, pour construire des modalités d’enquêtes syndicales qui s’approchent au plus près des conditions concrètes du travail. _ Ces enquêtes ont pour but d’ouvrir le débat avec les salariés, pour les aider à affirmer les dimensions positives de leur activité et leurs propres exigences de qualité. De fait, ces analyses rendent compte de la complexité des situations et de la richesse des activités du personnel, qui ne présente pas uniquement des défaillances.

Ces processus permettent de rompre l’isolement dans les problématiques individuelles, qui supposent de la culpabilité, du ressentiment et des conflits interpersonnels. Ils renouvellent les conditions du débat social à tout niveau et révèlent, non seulement les failles, mais également les potentiels de développement de l’organisation. En effet, les questions de santé, d’efficacité de la production, les potentiels de créativité et de vitalité de l’organisation se nichent au cœur de ce débat, sachant qu’in fine, le bien-être au travail est lié au bien faire au travail. Je vous remercie.

Questions et réponses de P. Davezies

Thierry GUILLEMOT
Merci Philippe Davezies. J’ai enfin compris pourquoi les journalistes n’annoncent que des mauvaises nouvelles.
En fait, les travailleurs ne sont pas malades, le travail lui-même est une maladie.

 

Philippe DAVEZIES
Non, le travail n’est pas du tout une maladie, mais une expérience extrêmement décisive dans laquelle le travailleur est amené à mettre en forme un bout du monde en exprimant son histoire, ce qui lui permet de se construire et de se développer. Il ne peut toutefois s’engager dans cette expérience, sans risquer de se perdre lui-même. A l’inverse, le travail peut favoriser la santé, puisque privés de travail, les personnes tombent malades. Le travail en soi n’est pas une maladie. Selon Freud, les deux grandes fonctions de l’homme sont d’aimer et de travailler.

 

Thierry GUILLEMOT
Une proposition reviendra souvent tout au long de la journée : donner du sens au travail. Aussi, quel sens donnez-vous au travail ?

 

Philippe DAVEZIES
Nous avons souvent le sentiment que le travail est une boîte, qui peut déverser du sens. La Direction peut clarifier ses positions et donner, par-là même, le sens de son engagement. Pour autant, nous savons pertinemment que la réalité des organisations ne reflète pas uniquement les décisions de la Direction. Le sens suppose que l’expérience du travail, que n’a pas la Direction, puisse être exprimée, afin que chacun produise du sens. Le sens doit s’entendre comme une direction spatiale. Toute activité est orientée, mais elle est également sociale et doit donc s’articuler avec les autres. En l’absence d’articulation, les conflits se développent, ainsi que le non-sens. Personne ne dispose du sens.

Lorsque j’interviens dans une entreprise, les salariés se demandent souvent ce que fait la Direction. Or sans construction de formes permettant d’exprimer ce qu’est le travail, la Direction se trouve démunie. Il convient de procéder à l’articulation entre des enjeux réels, d’ordre économique, et la réalité des situations de travail. La Direction déploie du discours, ce qui est très important, mais aucun discours ne fait jamais le tour de la question.

L’activité déborde toujours le discours. Donner du sens permet d’éviter que tout parte à vau-l’eau, ce qui est tout de même le cas à l’hôpital. Comme les personnes ne sont pas capables de s’exprimer, elles pensent en termes très régressifs opposant les « méchants » et les « gentils ». Il ne s’agit pas d’introduire de la philosophie, bien que je considère qu’elle est très importante, mais de reprendre très concrètement les causes autour desquelles se nouent les conflits.

 

Bruno BEZIAT, Animateur
Vous semblez penser que la transmission de l’expérience des seniors est une piste d’action contre l’isolement.

 

Philippe DAVEZIES
Dans la société industrielle d’antan, les collectifs existaient, même s’ils présentaient par ailleurs, des aspects très contestables, car le savoir était transmis aux jeunes, mais ces derniers étaient en même temps mis au pas. A cette époque, la transmission était assurée. Aujourd’hui, les compétences et les savoirs ne sont plus partagés. A l’hôpital, les jeunes ont appris des savoirs importants, mais ils sont étonnés de constater comment fonctionnent les services en réalité, notamment au regard des actions relevant de la qualité des soins qui ne sont pas assurées.

Les risques psychosociaux sont la trace de questions collectives sur l’organisation du travail, qui relèvent du débat social, mais qui sont assumées individuellement par les agents, comme si elles étaient des questions personnelles.

 

Thierry GUILLEMOT
Une question de la salle : l’individualisation du travail semblant être une source d’augmentation des conflits, comment sortir de cette sur-individualisation du travail ? Quels leviers pouvons-nous actionner ?

 

Philippe DAVEZIES
En consultation, les agents récitent en boucle les discours que nous connaissons tous. Exprimer son activité constitue un véritable enjeu. Ils sont donc en difficulté, car ils ne rendent pas compte, ou très partiellement, par leur discours, de ce qu’ils vivent. Pour expliquer, ils doivent citer des événements localisables en temps et en lieu. Nous nous rendons alors compte que les conflits concernent des personnes qui poursuivent des objectifs différents, chacun ayant une légitimité non négligeable. Aussi, à tous les niveaux, que ce soit auprès de représentants du personnel autour du travail syndical, en consultation ou directement en entreprise, la ressource se trouve dans l’expression des salariés.

 

Bruno BEZIAT
Une question de la salle : comment éviter que cet enjeu de la créativité ne se transforme en une nouvelle injonction sur les encadrants ?

 

Philippe DAVEZIES
C’est effectivement l’un des problèmes. Je pense que Mathieu en parlera. Nous intervenons, avec mes collègues ergonomes, en milieu industriel. Nous montrons que des décisions d’organisation ont des conséquences désastreuses, y compris sur des dispositifs industriels qui engagent l’efficacité de l’entreprise. Or bien souvent, la réaction de la Direction est : « que fait l’encadrement ? », alors que nous savons que les encadrants n’ont de cesse d’alerter la Direction. La crise du travail se traduit avant tout par une crise de l’encadrement, qui peine énormément à tenir sa position et à faire entendre les questions aux Directions. En cas de problème, l’encadrement est immédiatement visé. Or je sais parfaitement que ce type de raisonnement ne permet pas de faire fonctionner un service ou une entreprise. Il est primordial que des espaces autonomes d’élaboration soient également instaurés pour les encadrants.

Intervention Mathieu Detchessahar

Bruno BEZIAT
Mathieu Detchessahar, vous êtes Docteur en gestion, Professeur des Universités à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de l’Université de Nantes. Vous pilotez une équipe de recherche en management, qui travaille depuis plus de six ans sur les liens entre les modes d’organisation (styles de management et santé/qualité de vie au travail), au sein du programme de recherche SORG (Santé et ORGanisation) soutenu par l’Agence nationale de la Recherche. Vos recherches ont notamment permis de révéler les raisons pour lesquelles certaines formes contemporaines de management peuvent avoir des effets délétères sur la santé et la qualité de vie au travail.

 

Mathieu DETCHESSAHAR, Professeur des Universités à l’IAE de Nantes
Merci pour cette présentation, très claire. Selon Philippe Davezies, le travail consiste à faire le tri et à recomposer constamment en fonction des nécessités de l’activité. Avec notre équipe de recherche de Nantes, nous sommes partis de ce constat.

Le travail n’est jamais uniquement exécutoire. Si nous ne devions qu’exécuter des procédures, nous ne travaillerions pas, car notre subjectivité ne serait impliquée. Le travail est toujours réalisé en fonction des nécessités de l’activité qui recomposent des prescriptions. Ces compromis ne s’arrêtent jamais. Mon travail d’universitaire, qui paraît parfaitement défini, est en fait éminemment contradictoire et en tension sur le terrain. Je suis censé faire de la recherche, de l’administration et de l’enseignement. En réalité, chacune de ces missions est en tension, compte tenu de ce que l’activité de recherche, de publication, de présence sur le terrain et en conférence suppose d’investissement et d’efforts pour se maintenir au meilleur niveau et sachant que ces trois activités sont en concurrence du point de vue de mon agenda.

 

Nous avons donc beaucoup débattu, dans nos collectifs de travail, avec le Directeur d’IAE, pour savoir comment travailler concrètement au carrefour de ces trois tensions. A force de discussions, nous avons mis à jour des compromis d’activités, dont nous savons la fragilité. Nous sommes partis du principe que certains collègues assureront un minimum d’enseignement et d’administration et une large part de recherche. Pour d’autres, ce sera l’inverse. Il convient toutefois de ne pas perdre de vue que la tension du travail constitue son intérêt même. A défaut, le travail ne serait qu’exécutoire. Ce qui serait convoqué serait alors davantage la force animale de l’homme.

Le travail est donc avant tout une affaire de tri, mais celui-ci ne peut être effectué seul, puisque nous travaillons toujours avec ou pour quelqu’un. Mon tri aura des répercussions sur mes collègues ou mes clients, ce qui suppose des processus d’élaboration de ce tri.

 

Je partage l’avis de Philippe Davezies sur l’enjeu que représente la mise en discussion du travail. En même temps, ce débat suscite des résistances, car le travail est opaque et résiste avant tout à soi-même. Il est enkysté dans des pratiques, que j’ai moi-même à inventorier. Or discuter supposerait de savoir rendre public, par des mots, une vision du travail et de comment l’effectuer.

Le travail est nécessairement conflit, car il est déjà difficile de publier la façon dont nous-mêmes nous travaillons, nous devons, en outre, nous confronter à d’autres façons de travailler. Cette discussion doit donc être organisée. Tel est le point de départ de nos travaux.

 

Par ailleurs, qui réalise ce travail de mise en visibilité du travail, de régulation ? Qui a un rôle essentiel de traduction des contraintes dans l’action, sachant que traduire des objectifs d’efficacité en actions consiste à les recomposer en fonction des nécessités de l’activité ? Qui a un rôle central dans ces opérations de tri ? Le management de première ligne réalise une partie de ce travail de mise en visibilité et de médiation entre les points de vue de chacun sur le travail en vue de produire des compromis, toujours temporaires, d’action. Ce processus de régulation du travail est sans fin. Les Américains préfèrent d’ailleurs le terme de « managing » pour évoquer ce processus, à celui de « management », qui renvoie à un état statique. Le manager de proximité n’est pas le seul, mais il a une part essentielle dans cette équation.

 

Dans nos recherches sur les secteurs de l’industrie, de la banque-assurance et de la santé, nous constatons que, dans les organisations rencontrant le plus de difficultés en matière de qualité de vie ou de santé au travail, dans les équipes les plus fragilisées, les problèmes proviennent, non d’une hyper présence ou d’une pression du management, mais de l’absence du manager de première ligne sur la régulation du travail. Management et travail divorcent de plus en plus souvent, au moment même où les tensions qui s’exercent sur le travail sont plus fortes que jamais. Le manager doit combiner des enjeux de coût, de qualité, de délais, d’innovation etc. Aussi, alors même que le travail devient plus exigeant et compliqué à trier pour les équipes, le soutien managérial leur est ôté. Les salariés l’expriment très bien. Dans les milliers d’heures de verbatim collectées, dans le cadre de nos recherches, auprès des équipes, personne n’avance qu’il se porte d’autant mieux qu’il ne voit jamais son chef. Les équipes réclament leurs managers, car elles en ont besoin pour faire face aux contraintes de l’activité et combiner le travail. Sans eux, l’arbitrage devient conflictuel au sein des équipes.

  • A partir de là, nous nous sommes demandé pourquoi les managers ne sont plus au cœur de l’activité. Nous pensons qu’ils sont happés par des forces centrifuges qui les retirent de la scène du travail, en priorisant, dans leur agenda, d’autres missions que l’activité de régulation du travail. Le maintien et l’alimentation des machines de gestion font partie de ces missions prioritaires (reporting, suivi des tableaux de bord d’activité...). Cette activité n’est pas managériale, mais administrative et gestionnaire. Le premier paradoxe est qu’elle suscite bien peu de vocations parmi les collaborateurs. Comme me l’a énoncé le Directeur commercial d’une grande compagnie d’assurance, « si être manager de proximité, c’est être enfermé dans le cockpit à surveiller les tableaux de bord, très peu pour moi ! ».
  • Le deuxième paradoxe est que l’information sur l’activité n’a jamais été aussi disponible, alors qu’elle semble chasser la communication sur le travail. Les outils de gestion sont extrêmement utiles aux managers. La machine, en revanche, est considérée comme toute puissante, à partir du moment où un pion l’entretient et l’alimente. Or je crains que le manager ne soit souvent perçu comme le pion qui l’entretient et l’alimente, comme une dépendance de la machine plutôt que son maître et utilisateur. Il arrive toutefois que le manager de proximité quitte son bureau… pour se rendre en réunion, alors que nous savons maintenant que nous souffrons d’un grave déficit de communication sur le travail. Les lieux de communication sont, en effet, omniprésents. Tous les sujets y sont évoqués, sauf celui du travail. En outre, nous y communiquons, nous n’y discutons pas nécessairement.

 

Les principaux lieux de discussion sont les réunions d’information descendantes. Le dialogue n’y a pas sa place. Les Directions y diffusent le sens, sous forme de monologue, afin que les managers le répercutent auprès de leurs équipes. Ce modèle est extrêmement monologique. Certains managers évoquent même « la messe ». Ces réunions reproduisent une vision un peu taylorienne du sens, dans laquelle il y a d’un côté ceux qui l’élaborent et de l’autre, ceux qui le consomme, et entre les deux, des courroies de transmission. Or construire du sens revient toujours à le réélaborer en fonction des nécessités de l’activité, ce qui suppose du dialogue et non du monologue.

 

Les réunions de groupes projets sont le deuxième lieu de discussion. Au titre du management participatif, elles ont pour but d’associer les managers de première ligne aux projets pour connaître l’écho du terrain. Le problème de cette « bonne idée » de départ est que les projets d’innovation débattus sont très souvent orientés et temporalisés par l’externe de l’entreprise. Ces innovations se font de moins en moins souvent l’écho des difficultés du travail. Elles proviennent le plus souvent de l’actionnaire et de ses analystes financiers qui prescrivent des modes de gestion, du législateur qui émet un prêt-à-gérer, en imposant la GPEC, les entretiens seniors et une négociation sur les risques psychosociaux. Les prescriptions proviennent également de tutelles, internationales ou nationales. Les managers de première ligne participent à ces réunions de travail sans en comprendre la finalité. Ils peuvent, en parallèle, être partie prenante de plusieurs projets importants en même temps.

Au carrefour de l’ensemble de ces forces centrifuges qui retirent les managers de la scène du travail, nous sommes face à la problématique d’un management empêché, dont le cœur du travail est devenu autre chose que l’animation et la régulation de l’activité. Il est nécessaire de réviser les réponses classiques aux plaintes qui montent du travail. Elles sont souvent adressées aux managers, sous la forme d’injonctions nouvelles, qui tentent d’influer leurs compétences (par la formation), leur comportement (par des chartes managériales) ou leur subjectivité (par l’accompagnement d’un coach).

Ces trois formes de solutions, qui ne sont pas dommageables en tant que telles, ne règlent pas la première des difficultés qui est de réduire les empêchements du manager à prendre de nouveau en charge la régulation du travail. La plupart des chantiers que nous ouvrons dans les organisations s’y consacrent.

 

Dans un premier temps, il s’agit de se ressaisir de leur fiche de poste, pour la débarrasser des « tâches connexes », qui se sont progressivement accumulées jusqu’à devenir le cœur de leur métier. Ce nettoyage suppose un minimum de volonté politique, car ces tâches doivent alors être redistribuées.

 

Le deuxième chantier consiste à rendre des marges de manœuvre aux managers. Aucun manager ne prendra part à la discussion sur le travail s’il ne dispose pas, à son niveau, de la possibilité d’élaborer une réponse aux questions que cette discussion ne manquera pas de soulever. Or le pouvoir d’agir des cadres de première ligne a été extrêmement réduit. Il convient de reposer la question des délégations budgétaires, de décision, de prise en charge du risque dans le secteur de la banque-assurance, de l’autonomie dans l’organisation etc.

L’un des principes est d’être capable de penser la subsidiarité, pour qu’elle redevienne au moins l’un des paramètres de conception de ces organisations. La subsidiarité est davantage un principe moral que technique. Elle pose comme postulat que la décision est toujours plus efficace quand elle est prise, pour partie, au plus près du terrain. Nous pouvons alors penser la délégation, comme nous y invite la subsidiarité, du bas vers le haut, en délégant à l’échelon supérieur les tâches pour lesquelles un renfort et un soutien sont nécessaires. Je pense que cette subsidiarité peut être un premier mot d’ordre très efficace pour commencer à repenser nos organisations.

 

Pour conclure, ces pistes ne sont évidemment pas suffisantes pour faire redémarrer la discussion sur le travail. Au contraire, dans un premier temps, nous serons confrontés, lors de ces discussions sous pilotage managérial, à du silence, car elles supposent des acquis de confiance : « Ai-je droit de parler, y compris de façon critique ? Est-il utile que je m’expose ? ». Cette confiance est un prérequis à l’ouverture de la discussion sur le travail. Or nous ne pouvons pas attendre la restauration de la confiance pour entamer le débat, car la confiance est l’un des produits de la discussion sur le travail. Il est, par ailleurs, évident que l’ouverture de ces espaces de discussion locaux sur le travail, avec le management en leur cœur, implique que le produit de la discussion puisse être porté à des niveaux supérieurs, afin que des moyens soient déclenchés. Elle implique également que des espaces se développent en tout point de l’organisation et que les partenaires sociaux y soient associés. Merci beaucoup.

 

Questions de la salle et réponses de M. Detchessahar

Thierry GUILLEMOT

Sortir le manager de toutes ses contraintes nécessite une véritable réorganisation, dont la décision ne peut émaner que de la Direction. Celle-ci doit donc prendre conscience de la situation.

 

Mathieu Detchessahar
Bien entendu. Il n’y a pas de grands méchants, car les dynamiques que je décris sont systémiques. Nous nous adressons donc à l’ensemble du système et en premier lieu, aux chefs, pour sortir de cette situation.
L’une des conditions pour mettre en place nos recherches-actions sont :

  • d’avoir accès au comité de Direction ;
  • que les représentants des questions d’organisation soient conviés au comité de pilotage, car ce projet devra être porté par la Direction et les acteurs de l’organisation.

Thierry GUILLEMOT
Vous sentez-vous entendus ?

 

Mathieu Detchessahar
Excellente question. Il semble notre discours rentre de nouveau dans la culture managériale. La crise, que nous vivons depuis trois ou quatre ans, est lourde de menaces, mais elle est, en même temps, porteuse d’opportunités. Beaucoup de comités de Direction sont aujourd’hui prêts à adopter des solutions un peu plus radicales.

En premier lieu, nous tentons d’équiper intellectuellement les managers d’une vision de l’organisation qui appelle la mise en discussion du travail. Il me semble que le premier problème des managers est leur vision très techniciste de l’organisation. Ils la perçoivent comme un ensemble à régler.

Nous avons vu que le travail est de plus en plus compliqué, mais face aux enjeux de performance multiples, des règles sont inventées et éteignent peu à peu le caractère fondamentalement erratique du travail. Des processus sont sans cesse imaginés, dans l’espoir d’épuiser un jour la complexité du travail, mais il restera toujours énigmatique, car changeant et soumis à l’aléa. Il est nécessaire de manager différemment, en ouvrant des espaces de médiation pour faire face au caractère irréductiblement erratique du travail.

 

Bruno BEZIAT Les questions de la salle affluent. Elles s’adressent à nos deux intervenants et se rejoignent sur la problématique de l’ingénierie :

  • « N’est-il pas normal que le n+1 administre, puisqu’il est le gérant des ressources humaines ? On ne discute pas avec une ressource, on la gère. Donc les n+1 gèrent.
  • Que faire contre cette absence de co-construction ? Redonner de l’autonomie aux équipes ? Leur rendre leur chef ? La force du loup, c’est la meute. Un homme, une mission, une équipe, des moyens.
  • Comment discuter au travail ? Comment être partie prenante ? Quels sont les points clés d’une structure participative pour accompagner l’encadrement ? »

Mathieu DETCHESSAHAR
La structure participative repose sur deux éléments : la mise en discussion du travail d’une part et l’écosystème organisationnel d’autre part. L’ingénierie de la discussion consiste à rouvrir des espaces locaux de dialogue sur le travail, sous pilotage managérial. Pour ce faire, toutes sortes de questions se posent. La fréquence de ces discussions doit être en cohérence avec celle des cycles de travail. Philippe Davezies l’exprimerait mieux que moi, car il m’a inspiré cette idée. Des lieux alternatifs, sans pilotage managérial, peuvent également être imaginés pour laisser aux collaborateurs le soin de réélaborer le travail, entre eux, avant de le porter dans un espace qui permettra d’en tirer des conclusions politiques. Nous voyons de plus en plus souvent des clubs de management se reconstituer dans les organisations. Ils sont utiles à condition d’être connectés à un espace politique qui produise des règles. En résumé, concevoir ces espaces suppose de se demander en amont qui prend la parole, sous couvert de quel mandat, à quel moment, à quelle fréquence et avec quelle connexion à d’autres espaces.

Il convient également de réinterroger l’écosystème et de réduire les empêchements des managers, de mettre en avant des politiques de GRH, qui garantissent une certaine stabilité du cadre d’emploi. Cette stabilité est, en effet, indispensable à la restauration de la confiance. Or dans certains établissements de santé, il n’est pas rare que la stabilité du cadre n’excède pas douze à dix-huit mois, ce qui est bien sûr très largement insuffisant pour construire les prérequis de confiance nécessaires à la mise en discussion du travail.

La question de la professionnalité du cadre se pose également. Il est difficile de discuter du travail alors que l’activité est opaque pour les professionnels eux-mêmes, puisque les managers n’ont pas de rapport intime aux métiers. Les managers doivent donc posséder des compétences managériales, mais aussi des connaissances sur les métiers, au risque que les problèmes liés au travail leur paraissent toujours secondaires. Or des managers professionnels sont souvent recrutés, par exemple dans le secteur de la banque-assurance. Les cadres doivent, de ce fait, être évalués, non seulement sur le quantitatif, mais aussi sur le processus d’animation de la discussion.

 

Philippe DAVEZIES
Je ne peux qu’abonder sur les points clés évoqués par Mathieu autour de cette difficulté de discuter, sachant que nous avons tendance à n’évoquer que ce qui est défaillant. Pour parler de ce qui fonctionne, ce qui est très dynamisant, il est souvent nécessaire de se doter du soutien de personnes capables d’animer ce type de discussions. Le manager ne pouvant pas formuler d’observations réelles sur l’activité, il convient d’expérimenter d’autres modalités.

Ces questions sont un défi pour le management, mais aussi pour les représentants du personnel et le syndicalisme. La capacité des syndicats à aider les salariés à élaborer leur dimension affirmative est un chantier qui nécessite également des expérimentations. En fait, je pense que la situation nous impose d’expérimenter des modes de soutien autonomes, tant du côté du management que du mouvement syndical. Nous pouvons nous référer aux travaux d’Yves Clot dans le domaine de la psychologie clinique du travail.

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