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Mieux être au travail - Point de vue des experts : Omar Brixi, Jack Bernon, Christophe Dejours

Le monde du travail connaît depuis plusieurs années de profonds bouleversements, conduisant à l’émergence de problématiques affectant la santé et la sécurité des personnes (stress, troubles musculo-squelettiques…). En réponse au « mal-être » et à la souffrance au travail, des concepts de « bien-être au travail » ont été mis en exergue dans le cadre des travaux de recherche et des mesures de prévention engagées.

Dans ce contexte, la CNRACL s’inscrit pleinement dans le débat national. Le Fonds national de prévention (FNP) de la CNRACL partage avec les pouvoirs publics leur volonté que l’accord du 20 novembre 2009 améliore la prise en compte des problématiques de prévention des risques professionnels dans les trois Fonctions publiques et concoure à la fédération des compétences pour améliorer la gestion et la maîtrise des risques.

La politique de partenariat engagée, depuis déjà plusieurs années, est poursuivie et approfondie. C’est dans cet esprit que le FNP a conclu des accords de partenariat notamment avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), l’Institut national de veille sanitaire (INVS), la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), la Direction Générale de la sécurité Civile et de la Gestion des crises (DGSCGC), le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Cette politique sera poursuivie avec d’autres partenaires tels que la Fédération hospitalière de France (FHF), l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions du travail (ANACT).

Le colloque du 26 mars 2013, intitulé « Mieux être au travail : quels leviers d’action ? », abordera la problématique des risques psychosociaux dans toutes ses dimensions. Au regard de l’éclairage d’experts et des différents témoignages d’acteurs de collectivités locales, il apportera des réflexions et des solutions en matière d’actions de prévention tant pour les territoriaux que pour les hospitaliers.

 

Les étapes clés sur les questions de santé au travail

En 2004, l’ANACT crée la « semaine qualité de vie au travail », qui a pour objet de diffuser et valoriser des initiatives innovantes et concrètes en matière d’amélioration des conditions de travail.
A leur tour, les pouvoirs publics mettent en œuvre plusieurs actions.
En 2008, commande du rapport Nasse Légeron et création du site « travaillermieux.gouv ».

Aujourd’hui, les questions de santé au travail font partie intégrante du débat national. Le Plan santé travail 2007-2009 a marqué une première étape. La signature de l’accord santé et sécurité au travail dans la fonction publique du 20 novembre 2009 et le Plan santé travail 2010-2014 (PST 2) montrent l’ampleur et la vigueur de ce débat. Le PST 2, qui vise notamment les agents des trois Fonctions publiques, attache une importance spécifique à la mise en œuvre de l’accord « santé et sécurité au travail dans la Fonction publique », ainsi qu’à la connaissance et la comparaison des statistiques des accidents du travail et des maladies professionnelles des divers régimes. Cet accord marque également l’engagement pour une politique redynamisée en faveur de la santé et de la sécurité au travail dans les trois fonctions publiques.

Dans le cadre de la mise en œuvre des accords de 2009, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) s’est engagée à mobiliser les Agences régionales de santé (ARS) et les établissements sur la prévention des risques psychosociaux. Un appel à projets, destiné à faire émerger les bonnes pratiques existantes dans ce domaine et à en assurer la promotion, a été lancé le 31 juillet 2012.

Enfin, le plan Santé au travail 2010-2014, dans son introduction indique : « le développement de la santé et du bien être au travail ainsi que l’amélioration des conditions de travail constitue un enjeu majeur pour notre politique sociale dans les années à venir. »

L’amélioration des conditions de travail et leur prise en compte dans l’exercice du management est considérée comme « un enjeu essentiel de la rénovation de la politique des ressources humaines et des relations sociales », notamment dans plusieurs domaines tels que :

  • l’évolution des instances et la rénovation du rôle des acteurs compétents,
  • l’évaluation et la prévention des risques cancérogènes mutagènes reprotoxiques (CMR), des troubles musculo squelettiques (TMS) et les risques psychosociaux (RPS),
  • la formation des agents de la Fonction publique,
  • et un meilleur accompagnement des atteintes à la santé.

Interview d’Omar Brixi, animateur du CST du FNP et médecin et enseignant de santé publique

Les travaux du Comité scientifique et technique du FNP

Travailler autrement - Interview d'Omar Brixi
« Tout d’abord, je suis ravi du choix du thème de ce 5ème colloque sur « les risques psychosociaux. Cette programmation rejoint les préconisations faites par notre Comité scientifique et technique (CST) auprès du Conseil d’administration. Les RPS ont été une des premières thématiques sur laquelle le CST a travaillé. C’était au début des années 2000 alors que le sujet était méconnu, sous estimé voire encore tabou.

Cette attention du CST n’est pas le fait du hasard. Elle découle, selon moi, de la nature et du niveau de nos travaux eux-mêmes en lien avec la composition de cette instance. Rappelons que le CST réunit 3 collèges : des experts, des acteurs de la santé au travail et des représentants des employeurs et des personnels. Ce croisement d’expertises et d’expériences permet la confrontation de plusieurs angles et permet l’effort de vigilance et d’alerte sur les nouvelles problématiques.

Les RPS se sont imposés à nous dans ce que l’on a appelé la triade des risques dominants, TMS, CMR, RPS. Sur tous ces risques comme sur les RPS, nous avons écouté et échangé avec les spécialistes les plus investis sur le sujet tels que Christophe Dejours, François Daniélou et plusieurs sociologues. Nous avons traité des risques psychosociaux en plusieurs temps. Nous avons tout d’abord réfléchi sur le symptôme, puis sur la mesure et enfin sur les causes ou les cadres explicatifs.

Cette réflexion nous a permis de partir des fragilités des personnes jusqu’aux tensions dans les relations interpersonnelles notamment quand elles ont lieu dans des rapports de domination comme dans les relations hiérarchiques. Puis de progresser et nous intéresser aux conditions de travail notamment dans leurs formes nouvelles. Et de nous ouvrir enfin aux questions liées aux organisations du travail avec tout leur lot de mutations : intensification, accélérations de toutes sortes, transformations introduites par le travail sur écran, les nouvelles technologies de l’information et surtout les effets du management dans le secteur public (le new public mangment). Avec surtout leurs impacts sur la santé des salariés, des troubles les plus légers jusqu’aux issues fatales. C’était dramatiquement d’actualité à l’époque, avec les suicides à France Telecom et le dévoilement de l’ampleur de la souffrance au travail.

Nous avons aussi toujours relié ces impacts sur la santé des travailleurs aux évolutions des services publics. Notamment celles reliées aux orientations telles qu’inscrites dans la RGPP, des effets des restrictions des ressources, de la manière dont a abordé la performance et l’optimisation des organisations des services publics. C’est ainsi qu’on a pu mesurer les effets délétères des « importations » de fait vers le secteur public d’un modèle d’organisation et de gestion conçu dans les logiques de l’entreprise privée, elles mêmes détournées d’ailleurs.

Après avoir entendu, échangé et pris en compte les formes et les degrés de ces souffrances au travail tant dans les collectivités territoriales que dans les établissements hospitaliers, nous avons initié une démarche plus volontaire, celle de prendre le travail dans ses dimensions centrale et constructive. C’est ainsi que depuis 2011, nous nous sommes intéressés aux conditions et situations qui génèrent non pas seulement les souffrances, mais celles qui permettent aussi les réalisations de soi, la vitalité des collectifs au travail et la réalisation d’un service rendu de qualité, ce que certains appellent le mieux être au travail ou la qualité de vie au travail.

Dans cet esprit, le CST a produit un cadre propositionnel : une fiche de synthèse de ses travaux, disponible en ligne, une stratégie globale ainsi que des recommandations sous forme de plan d’action qui ont été soumis au Conseil d’administration. Le prochain colloque autour de cette préoccupation majeure du monde du travail, aujourd’hui, en fait partie.
Le programme d’action défini au niveau du FNP est en cours de mise en œuvre. Le CST a œuvré au mieux de ses ressources dans son rôle d’aiguillon et de cadres d’échanges et de propositions.

Les RPS ne sont pas un risque comme les autres. C’est un fait majeur, un fait global qui doit questionner nos organisations, nos métiers et leurs finalités.
S’en préoccuper, en débattre, c’est repenser le travail et ce qui est au centre de nos vies et de nos sociétés.
Investir dans la prévention des RPS en termes de temps, de débats et d’intelligences, c’est prendre soin de l’humain au travail et de ce qui fait la force du service public, en particulier. »

 

Jack Bernon

Jack Bernon – Colloque FNP 2010

 

« … L’action de prévention, qui a commencé à se dessiner au milieu du XIX° siècle, a été pour la première fois finalisée dans une loi sur les accidents du travail en 1898. Jusqu’au milieu du XX° siècle, il n’est donc question que de réparation… Les importantes transformations des modèles de production à la fin des années 90, ainsi que le fonctionnement en flux tendu, ont donné lieu à une réorganisation du travail susceptible de causer de nouveaux troubles. … Une évolution des instances et du débat social témoigne du passage des problématiques de la sécurité à celles des conditions de travail. Ainsi, la transformation des Comités d’Hygiène et de Sécurité (CHS) en Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) bouleverse les pratiques antérieures des CHS ; une nouvelle manière d’envisager les questions de santé doit donc être développée. Cette question a été prise en compte au niveau des pouvoirs publics ; le Conseil Supérieur des Risques Professionnels pilotait au niveau national la démarche de prévention en France. Ce conseil s’est transformé en 2009 pour devenir le Conseil d’Orientation des Conditions de Travail (COCT)… La notion de condition de travail cristallise bien le changement de paradigme. Cette notion implique donc une mutation de la prévention des risques qui était auparavant très technique ; elle devient une question sociale qui nous invite au débat, afin de la faire progresser…. il m’apparaît que votre secteur peut être précurseur dans la prise en compte de la santé à égalité avec la performance ; toute situation de travail peut être lue à deux niveaux, celui de la production et celui de la fatigue ou de ses effets sur la santé… Nous sommes passés d’une prise en compte de la prévention a posteriori à une vision de la prévention a priori… Nous avons beaucoup considéré le travail comme une source d’altération de la santé, n’est-il pas temps de le considérer comme une activité de construction de la santé ?... »

 

Omar Brixi – Colloque FNP 2010

« … Nous parlons ici de maladies professionnelles, c’est-à-dire de maladies du fait ou en lien avec les conditions du et au travail. Convenons de les nommer sous le vocable de « triade infernale » constituée par les TMS, ce qu’il est d’usage d’appeler les risques psychosociaux et l’exposition aux CMR… En faisant le constat de la souffrance au travail, nous ne pouvons plus nous contenter des symptômes de la souffrance humaine ou de la difficulté de travailler ensemble, nous nous devons d’interroger le système professionnel dans lequel nous évoluons et la place qu’il réserve à l’humain… Nous sommes requis à refonder le travail afin qu’il devienne non plus un lieu d’altération, mais de construction de la santé, de respect de la dignité humaine et de réalisation du sentiment d’utilité sociale… Si le siècle dernier a été celui de la réparation médicale, de la responsabilité pénale et de la réparation indemnitaire, ce siècle peut être celui de la prévention. La prévention est inscrite dans notre agenda institutionnel et sociétal. Il convient donc d’être optimiste, tout en gardant présent à l’esprit que nous nous confrontons à des problèmes plus complexes, en ceci qu’ils sont au coeur de l’organisation même du travail… ».

Christophe Dejours

Troubles psychosociaux : intervention de Christophe Dejours du 17 avril 2008

 

Selon Christophe Dejours, qui s’appuie sur un travail commencé il y a plus de trente ans, il convient d’aborder les risques psychosociaux sous l’angle de la question du travail. Il s’agit de lâcher la gestion pour entrer dans la matérialité du travail et admettre l’existence de contradictions, c’est aussi se poser des questions qui gênent…
Qu’est-ce que le travail ?

Pour Christophe Dejours, ce n’est pas un salaire, un emploi, un statut, c’est bien sûr tout cela mais ce n’est pas que cela. Ce qui caractérise en propre le travail, c’est le décalage irréductible entre le travail prescrit et ce qui est fait, l’effectif du travail. Cette découverte a été faite il y a quarante ans par Alain Wisner…


 

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